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l’eau à Sein – tiré à part 4.13

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Histoires d’eau

Depuis la mise en service d’un nouveau « bouilleur » ,en 1999, l’eau coule avec une telle facilité de nos robinets que l’on aurait tendance à oublier qu’il n’en fut pas toujours ainsi ! Il suffit déjà de remonter seulement quatre ou cinq ans en arrière pour se souvenir des « pannes sèches » de l’été, quand il fallait attendre les livraisons d’eau par les bateaux citernes de la Marine Nationale. Et ne parlons pas des temps plus anciens où la quête de l’eau était un problème vital et quotidien.

Le temps des citernes

De tous temps, à l’île, on a utilisé des citernes alimentées par les eaux de pluies. Aujourd’hui encore, rares sont les maisons qui n’ont pas leur citerne, contenant souvent une anguille chargée de la nettoyer des bestioles indésirables ! «  Mais autrefois, explique le Père Stanislas RICHARD dans « Enez Sun, l’île des Trépassés » l’eau de pluie dégouttant des toits paraissait si fade que beaucoup lui préféraient celle du puits de St Gwénolé ». Un puits à ciel ouvert, construit depuis des siècles et que l’ on abordait par un escalier en pierres. Il s’alimentait à deux sources marines qui perdaient de leur salinité en se filtrant à travers un sol silico-argileux légèrement ferrugineux. Mais dès qu’il pleuvait, l’eau était souillée par le va-et-vient des gens en sabots. En dépit de son insalubrité , ce puits a été la providence des insulaires. Il n’a jamais connu de tarissement. Son niveau variait avec la fluctuation des marées. Aux grandes marées, sa profondeur d’eau pouvait atteindre deux mètres, tandis que lors des mortes eaux on était obligé de puiser le liquide avec des gobelets dans un trou ne contenant que quelques litres. Mais le niveau se complétait au fur et à mesure …

D’autres points d’eau furent décelés au Lenn, au Fauchou, au Poull et dans le voisinage de la chapelle de St Corentin. L’eau de cette dernière source étant nettement plus potable que celle du puits de St Gwénolé.

Ces puits et ces citernes individuelles s’avérant insuffisants, en 1866 le conseil municipal de l’île adresse une pétition au Préfet pour demander la construction d’une citerne collective de 300 tonneaux dans laquelle on aurait stocké les eaux pluviales récupérées à partir d’un certain nombre de toits. Jugé trop coûteux, le projet fut abandonné. Il fut réalisé 30 ans plus tard, un peu différemment,  au NIFRAN grâce à subvention de 7 000F octroyée par le gouvernement sur les fonds du Pari Mutuel suite à une demande faite par le Conseil Général. Les services des Ponts et Chaussées chargé de la construction de cette citerne aménagea d’abord une plate-forme bétonnée d’environ 200 m2 pour récupérer les eaux de pluie. Ces eaux étaient d’abord dirigées vers un premier puits, transitaient par un filtre naturel, puis se déversaient dans la citerne où elles étaient puisées à l’aide d’une pompe.

L’ère du dessalement

Dans une mémoire de maîtrise de géographie rédigée en septembre 1972 sous la direction du professeur André GUILCHER, Christine VIGNAT ajoute qu’ « en 1956, lorsque le toit de la nouvelle église, construite en 1901 et 1902 par les Iliens eux-mêmes fut refait , on y installa une canalisation pour rassembler les eaux de pluie; grâce à cette adduction d’eau supplémentaire, le réservoir de la citerne municipale fut agrandi. On y a recours en cas de sécheresse, mais il vaut mieux que le manque d’eau ne se généralise pas trop car, en ce cas, l’aide apportée est de courte durée; il faut alors appeler un bateau-citerne qui livre l’eau au prix du litre.

Le problème de l’eau est aggravé par le gonflement de la population en été par les enfants des émigrés, les familles des « migrateurs saisonniers » qui partent pêcher la coquille Saint Jacques en hiver et tous les touristes. Habitués aux commodités urbaines de confort, ils ne savent pas ou plus user de l’eau avec parcimonie. L’introduction du système plus moderne de W.C. à fosse septique entraîne une grande consommation (…) si l’on pense aux autres utilisations domestiques, il est souhaitable que ce luxe ne se généralise pas, surtout qu’il menace de polluer le sol de l’île.

L’eau est donc un gros problème pour les Insulaires: Monsieur le Maire ne désespère pas d’apporter une solution à ce handicap; plusieurs projets ont été formés mais le choix reste à faire ; le Maire semble tenté de reprendre le principe de désalinisation des eaux de mer par filtrage naturel ».

En mai 1 972 le Conseil Général vote en effet une subvention de 80 000F pour l’installation d’une unité de traitement de l’eau saumâtre des puits du phare et de Saint Corentin. L’expérimentation est prévue avec une station venant du Crotoy, dans la Somme. Jean-Marie CAJEAN, qui était à l’époque gardien au phare de Sein, témoigne : « Le premier système de dessalement de l’eau de mer fonctionnait par électrodialyse, système mis en place par la société SRTI. L’eau était prélevée dans le puits à côté du phare, là où se trouve maintenant l’écloserie ; ce puits fut choisi car l’eau y était déjà filtrée. On remarquait d’ailleurs que c’est à mi-marée que le niveau y était le plus élevé. Une fois dessalée, l’eau était transportée à la citerne du bourg par le « camion » d’Alain LE ROY. Ce système fut rapidement abandonné car trop coûteux en électricité ».

Un premier « bouilleur »

Il faudra attendre 1978 pour qu’un nouveau procédé soit mis en œuvre . C’est un « bouilleur » dans lequel l’eau de mer est portée à ébullition, la vapeur étant ensuite refroidie pour récupérer l’eau distillée. Ce système, assez sophistiqué, etait basé sur la récupération de l’énergie calorique fournie par les trois groupes de production électrique installés dans l’enceinte même du phare de Sein. Par conséquent le nombre de calories produit pour le réchauffement de l’eau de mer variait en fonction de la demande d’électricité. L’eau de mer est pompée à marée haute à la cale du phare, puis stockée dans un réservoir, une bâche de 400 m3, de façon à assurer la continuité de l’alimentation de l’appareil en eau salée, puisque les pompes se trouvent hors de l’eau à marée basse.

Le 31 août 1981, Le Télégramme fait le point de la situation : « Il y a peu de temps un seul réservoir desservait à la fois l’écloserie de homards et la station de dessalement, en priorité. Mais la municipalité a remédié aux insuffisances nées de cette double consommation en installant dernièrement une seconde bâche ( … ) Mais la station de dessalement ne peut dépasser une certaine production qui équilibre tout juste la consommation de l’île. L’appareil produit 25 m3 par jour, ce qui doit suffire « si tout le monde est raisonnable », dit le maire. Il faut être très précautionneux dans la dépense d’eau, c’est pour cela qu’elle est vendue à un prix dissuasif, l’argent est le seul handicap à la consommation.

On compte normalement une disponibilité de 50 l par jour, et par personne en été, ce qui bien sûr exige de la part de tous une certaine discipline et beaucoup de mesure dans l’utilisation de cette denrée rare, dont la demande augmente chaque année avec l’installation de nouveaux sanitaires, de machines à laver et autres.

Cependant en été, période de consommation de pointe pour l’île puisque la population double au minimum (elle passe de 380 en hiver à plus de 800 personnes) le stockage de l’eau qui est actuellement hors de question, pose un réel problème. Apparemment, il ne tardera pas à être résolu. Dès la mi-septembre sera mise en construction une citerne d’une capacité d’environ 700 m3, de façon à assurer la permanence du service d’eau et à servir de tampon si on veut arrêter momentanément l’appareil de distillation pour le nettoyer, ce qui est absolument impossible aujourd’hui.

Cette station de dessalement représente donc un réel progrès pour l’île, tant au niveau de son économie, que pour le bien-être de la population, tout en lui assurant une certaine autonomie jusqu’à présent difficile à conquérir ».

Aujourd’hui : les compresseurs

Le système utilisé aujourd’hui a encore évolué. Le dernier modèle de bouilleur, mis en service en 1999, fonctionne à l’aide d’un compresseur de vapeur et d’échangeurs de température. Pour amorcer le processus l’eau de mer est, dans un premier temps, chauffée par des résistances électriques. L’appareil fonctionnant sous vide, elle bout à 57°. La vapeur produite par l’ébullition est aspirée par le compresseur qui la refoule dans des tubes. L’eau de mer introduite dans le système est pulvérisée sur ces tubes ; comme elle est plus froide , elle provoque la condensation de la vapeur tout en étant elle-même portée à ébullition. La condensation donne de l’eau distillée et de la saumure, chacune étant récupérée dans des circuits différents ( la saumure est évacuée par un tuyau, derrière le phare ) . 3 m3 d’eau de mer donnent, en gros, 1m3 d’eau douce et 2 m3 de saumure. Dans les régions où l’eau est plus chaude, comme aux Antilles, une fois amorcé le système fonctionne « en boucle ». Mais à l’île, vu la basse température de la mer, il faut de temps en temps un apport calorique extérieur et l’on réactive les résistances électriques. Le nouveau bouilleur a une capacité de production journalière de 50 m3 d’eau douce. Largement suffisant hors saison ; un peu juste l’été, même si depuis sa mise en service on n’a plus connu les coupures estivales d’il n’y a pas si longtemps. C’est pourquoi il est prévu de moderniser l’ un des anciens bouilleurs toujours en place au phare. Avec un potentiel de 100 m3 par jour, on pourra voir venir !

Pierre PORTAIS

Publié en avril 2001

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