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La traversée du golfe by Alain

Retour à la Trans-Gascogne

Jour 1

     Il est 17h30 environ et nous sommes le mercredi 17 Août à 50 milles au Sud de la pointe de Penmarc’h. ENAWEN file pleine balle au largue avec trois ris dans le génois. Le ciel s’est chargé de nuages. L’anémomètre est calé à 25 nœuds de vent avec des pointes à 32. La mer est formée, la crête des vagues blanchit et une grosse houle pousse le voilier au surf.

     Depuis le matin de notre départ de Kérity, nous avons régulièrement réduit la toile. Le spi asymétrique a laissé place au génois tangonné. Après les deux prises de ris, la grand voile est maintenant totalement descendue. Dans cet environnement, Michel se montre en forme, il paraît plutôt serein et surveille de près la bonne marche de son bateau. Chez Daniel et moi, l’humeur vagabonde devant la beauté du spectacle donné par les éléments et des conditions de navigation un peu compliquées. De mon côté, mon estomac vacille de plus en plus face aux mouvements du bateau : le mal de mer est là et ne me lâche plus. Il s’éloigne cependant un peu quand je prends la barre. Deuxième remède apaisant : m’allonger dans la couchette tribord et fermer les yeux.

Jour 2

     Il est minuit : pour Daniel et moi, c’est l’heure de notre premier quart. Michel, toujours aussi vaillant et résistant aux conditions épiques, nous rend compte de son début de nuit. Bonne nouvelle : nous avons dépassé la limite sud du plateau continental et la mer s’est un peu aplanie. Les vagues étant moins puissantes, le bateau va mieux par le travers et Michel a pu reprendre du lof pour nous repositionner sur la trajectoire prévue. Cependant, le vent est toujours aussi soutenu… et la pluie a fait son arrivée. Nous apercevons autour de nous les lumières des bateaux de pêche espagnols. Dans cette nuit noire, sans repères visuels, je suis à nouveau la proie de ce mal de mer qui ne m’avait pas vraiment abandonné… Heureusement que Daniel va assurer et veiller au grain car de mon côté, ça ne s’arrange pas et je suis complètement lessivé. Vivement que ce quart se termine.

     Il est quinze heures. Nous avons une magnifique lumière malgré la couverture nuageuse d’altitude. Les conditions se sont bien améliorées, elles sont conforme aux prévisions que nous en avions avant notre départ. Le bateau file maintenant au bon plein toutes voiles dehors. C’est devenu agréable : la magie de la navigation. Le vent a baissé en fin de nuit au lever du jour. Depuis la fin de la matinée, nous avons 15 nœuds de vent et la mer est moins agitée… Et bonne nouvelle, je reprends des couleurs et l’appétit revient alors que je n’avais rien pu consommer depuis 24h.

     Dans ce vaste océan, mon regard s’accroche sur ce que je prends pour une voile dans le lointain. Le temps passe un peu et sur le bâbord arrière du bateau, nous observons ce qui pourrait passer pour de grands dauphins. Après recherche à la maison, je pense qu’il s’agissait de baleines de Cuvier.

Jour 3

     Il est dix heures : il fait beau et presque chaud. Après ces dernières 48 heures, c’est apaisant et agréable. Daniel et moi retrouvons le plaisir de manger. Ça fait du bien. Les heures précédentes ont vu le vent diminuer de plus en plus. Quelques petites risées animent la surface de l’eau. Le vent a encore un peu tourné et le voilier vogue maintenant au plus près. Il sera bientôt le moment de solliciter le moteur pour appuyer notre bonne marche vers les cotes Espagnoles.

     Dans la nuit, j’ai loupé mon premier quart !!! J’étais pourtant prêt mais Capt’ain Michel se sentant d’attaque nous propose d’assurer une heure de plus. Aussitôt dit aussitôt fait, sans vergogne ni remords, je me rendors aussi sec. Cependant, j’ai doublé l’heure convenue pendant mon sommeil, mon équipier Daniel toujours très attentionné m’ayant laissé dans les bras de Morphée. Lorsque j’arrive enfin à le rejoindre, nous repérons au loin un cargo sur notre avant bâbord. Il est loin et paraît proche. L’A.I.S lui donne une vitesse de 15 nœuds et il semble pourtant se traîner. Au final, il passera largement devant nous mais quelle étrange perception de proximité…

     Il est 14h00. Les conditions sont idéales pour tester la ligne de pêche au thon. A midi, Michel nous a préparé notre premier vrai repas depuis le départ. Nous sommes assis autour de la table dressée dans le cockpit : ensemble, assis, tranquille. Cela paraît incroyable à l’aune des heures précédentes que nous avons vécues. Le matin, à 80 miles des côtes, j’affirme de mes yeux avoir aperçu les montagnes Asturiennes. Bien sur, je me suis fait chambré par Daniel et Michel car elles ont depuis disparu. Mirage, réalité ou délire de marin ?

     Il est 21h00. Le vent s’est réveillé à l’approche de la terre. Nous avons croisé d’immenses cargos en partance vers le large. La ville de Gijon en ligne de mire, les montagnes, Los Picos De Europa en arrière plan, sont maintenant bien visibles. La lumière rasante de la fin de journée donne un panorama saisissant; attirant et mystérieux. Le marin gamberge. Aurons-nous une place à l’arrivée ? Les trois fameuses bouées cardinales de l’avant-port seront-elles bien matérialisées ? Y aura-il un troquet ouvert ? Une bonne douche chaude ?

     Il est 22h00. L’arrivée semble proche et en même temps la ville semble nous échapper avec l’obscurité tombante. La très longue digue matérialisant l’entrée du port paraît vouloir garder ses distances. « C’est beau, une ville, la nuit ». Les lampadaires du front de mer se sont allumés accentuant cette impression d’immensité portuaire. Où se cache la marina ? Vive le G.P.S.

     Il est 23h00. Clap de fin. Ce que nous avons pris, Daniel et moi, successivement pour une base sous-marine, un vaisseau spatial, une cathédrale gothique, une prison, n’est rien d’autre que l’éperon rocheux qui sépare la ville en deux : le marin Breton a l’imaginaire fertile. Une petite houle déferle sur la digue qui protège le port de plaisance, ENAWEN garde ses distances. Il a encore une bouée de chenal à laisser à bâbord et l’arrivée sera toute proche.

FIN : premier échange entre Michel et notre voisin de ponton venu nous accueillir

– Vous venez d’où ? 

– Ben, de Penmarc’h…

La personne marque un temps d’arrêt, moitié incrédule un peu déconcertée, puis finit par répondre

– Oh ! Bravo à vous. On en voit plus beaucoup des Kelt comme celui-là.

Alain Blondel

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