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La Transat d’ENAWEN II – préambule

Parti le 6 octobre 2024 de Loctudy, ENAWEN II y a de nouveau accosté 8 mois plus tard le 26 mai 2025.

7 équipiers(iére) se sont succédé à son bord, certains pour presque la totalité du voyage, d’autres pour quelques jours.

Un seul, à part le Cap’tain, « était à bord » le jour du départ et le jour de l’arrivée à Loctudy.

En exclusivité et avant le récit plus détaillé de cette double transatlantique, voici le « billet d’humeur » de Daniel

« La croisière, ça m’use !»

Je me dois de rappeler que je ne suis qu’un modeste skipper qui n’a posé son pied pour la première fois sur un voilier qu’en 2014. A cette époque j’ai eu la chance d’être admis comme adhérent au Vent Des Etocs. Certains membres m’ont bien précisé que le VDE n’était pas une école de voile, d’autres m’ont dit « on va t’aider » et en particulier l’un d’eux m’a dit « je vais m’occuper de toi ». Et ce dernier ne m’a jamais lâché, il m’a gardé sous son aile protectrice (moins déplumée que sa crête !) Et cet homme-là, vous l’aurez reconnu, c’est Michel Labidurie.

Avec lui j’ai tout appris. D’autres m’ont entrainé dans leurs sillages au cours de nombreuses sorties en mer. Ils m’ont aussi beaucoup apporté. Mais j’ai aussi appris de mes erreurs…et Dieu sait si j’en ai fait…et je n’ai sûrement pas fini.

La mer et moi ça n’a jamais été un long fleuve tranquille. Tout jeune en allant par le bac rejoindre mes grands-parents à l’Île de Ré je n’étais pas très rassuré. Plus tard en utilisant le ferry pour notre mariage de noces en Corse j’ai vidé tripes et boyaux…autant dire pas trop le pied marin.

Mais par le fait d’avoir fait mon apprentissage progressif de voileux en commençant avec un petit pêche promenade IKONE 6.5, puis un petit sloop Blue Djinn, puis un First 25 .7 S (qui coulera dans le port de Kérity lors de la tempête CIARAN de 2023). Et aujourd’hui avec un First 25.7 Performance je me plais à longer les côtes de Bretagne et d’ailleurs.

Avec ces bateaux j’ai d’abord fait des ronds dans l’eau près des Etocs, puis toujours bien entouré, j’ai suivi les « pros » du VdE aux Glénan, à Sein, … jusqu’à faire de jolies croisières en allant de port en port, au plus nord jusqu’à Guernesey, au plus sud jusqu’à l’ile de Ré. Les croisières de plusieurs semaines ont été souvent faites à 2, Michel et moi, chacun sur son bateau. Des problèmes variés bien sûr tout au long de ces milles parcourus mais aussi beaucoup de plaisir à naviguer, à faire des rencontres de ponton, à visiter des sites et des îles … bref des programmes riches de surprises et d’expériences.

Voilà ce que j’aime.

Mais… mon « archange-gardien » Michel, ne se satisfait plus de ce jardinage, poussé depuis quelques années par une envie de plus grands espaces. Michel m’a informé au fur et à mesure de l’avancement de tous ses projets. En finissant toujours par cette question :

Tu viens Daniel ? Toujours hésitant, j’ai finalement toujours répondu OUI. Et je n’aurais pas dû !

Et je l’explique par ce que j’ai vécu à 4 occasions :

 

1/ Une première amorce avec une Trans-Gascogne, une croisière de 5 semaines mélangeant routes de nuit pour traverser le Golfe et cabotage le long des côtes espagnoles et françaises.  Un seul bateau ENAWEN. Le plus gros de la flotte du VDE avec 2 équipiers pour faciliter les veilles de nuit.

 Je n’avais pas immédiatement écarté cette proposition de traversée du Golfe mais avec une interrogation sous-jacente sur ma résistance au mal de mer. Cependant 2 jours et 2 nuits de navigation me paraissaient aussi l’occasion d’en avoir le cœur net… en espérant surtout le ménager, mon cœur. Une opportunité aussi pour avoir le ciel et ses étoiles à contempler et quant à faire j’espérais surtout une météo favorable. J’ai donc dit OUI et c’est en compagnie d’un autre équipier Alain Bl., que nous quittâmes le port de Kérity le 17 août 2022 direction plein sud mais sous un ciel déjà peu engageant.

Et très vite … tout l’inverse de ce que j’espérais, s’est produit ! Une forte dépression que Michel aurait voulu mieux négocier est venue s’occuper de nous dès la fin de journée. Le vent violent   nous a forcés à affaler la grand-voile et réduire le génois au minimum, nous propulsant cependant encore à plus de 7 nœuds avec force vagues nous recouvrant parfois dans le cockpit … et cela pendant toute la nuit. Malheureusement il fallut à un moment enfiler veste et pantalon de ciré avec ENAWEN balloté lui aussi en tous sens… cela nous prit des minutes etdes minutes dans le carré pour enfin finir par rentrer dans nos bottes. Trop long … en remontant dans le cockpit, Alain ne tarde pas à vomir et le pauvre se videra l’estomac à plusieurs reprises. Comme chacun sait, vomir c’est comme le rire, c’est communicatif… et comme je n’aime pas laisser un copain dans la misère je ne tarde pas non plus à en faire autant ! Nous ferons des quarts de nuit hachés, bousculés par des rafales de vent, des hauteurs de vagues dont l’écume inquiétante nous surplombe parfois, et par les gesticulations brutales d’ENAWEN. Michel palliera nos insuffisances pour les veilles de nuit. Les couchettes furent notre ultime recours : couchés tout habillés sur le dos, les doigts croisés sur la poitrine comme le feraient deux gisants blafards. Nous mîmes plus de 24 heures avant de pouvoir nous remettre debout. Mais heureusement que Dame Nature avait remis de l’ordre dans ses cheveux : un coup de peigne sur les coups de vent et moins d’eau dans son lavabo ! La mer retrouva sa quiétude et nous la nôtre en arrivant aux pontons de Gijón.

 

2/ Pour Michel, le Golfe de Gascogne c’est encore jouer petit bras. Il pense Transatlantique pour un périple de 8 mois. ENAWEN n’est plus adapté, il faut un plus gros bateau. Michel jette son dévolu sur un OLYMPIC SEA 42 qui se trouve basé à Saint-Quay-Portrieux. Des aménagements sont à faire tant que le bateau est à terre. Tu viens Daniel ?

 Là j’ai franchement dit OUI. Car monter à bord d’ENAWEN II sur ses bers c’était sans trop de risque au chantier nautique de Saint-Quay-Portrieux. Nous y sommes allés 3 ou 4 fois pour du bricolage, des aménagements et pour que Michel s’entretienne avec les anciens propriétaires pour assurer la future prise en main du voilier. On s’est payé quelques bons resto (cette fois sans risque d’indigestion) !  Idem lorsque nous avons convoyé ENAWEN II jusqu’à Loctudy comme dans 2 ou 3 autres sorties en cabotage pour un rodage complémentaire avec plusieurs équipiers issus du vivier des adhérents du VdE.

 

3/ ENAWEN II a été révisé, aménagé puis convoyé sur Loctudy.  La date de départ de la Transat se précise pour le début d’automne 2024. Finalement ce sera le 6 octobre.

Aïe ! Michel me pose la question fatidique : Tu viens Daniel ?  Avec une escale à Royan pour laisser le temps à une prochaine dépression de libérer la route qui traverse le Golfe de Gascogne. J’y vois un intérêt car j’y rejoindrai ma fille Sophie désormais installée en Charente Maritime. Alors je dis OUI !

Et nous voilà parti… et c’est reparti aussi pour une mer peu amène…

Je fais un signe de croix. Amen !

Mais ma prière ne sert à rien. La mer nous secoue … et les premières victimes sont les bidons de 20 litres de gasoil insuffisamment arrimés sur le passe-avant et qui se font la malle ! Avec Thierry C. on se lance à la chasse aux bidons… ça glisse, ça pue, ça fatigue, ça tire sur les bras, et ça tire aussi sur les boyaux. Thierry C. est le premier à décocher une « queue de renard » … et je le suis par courtoisie ! On en fout partout !

Autant Thierry se remettra vite, pour moi c’est à nouveau la punition. Un malaise permanent, je ne peux rien avaler, je suis à nouveau bon à rien. Même pas question de me lever de la banquette du carré. Je regarde par l’escalier les vivants s’activer dans le cockpit… moi je suis léthargique et je vais me retrouver à nouveau sur le dos les bras en croix jusqu’à l’arrivée non pas à Royan mais à La Rochelle, trop retardé par les mauvaises conditions météo.

Sophie vient me sortir de là tôt ce matin du 8 octobre…, je vais pouvoir me remettre sur mes pattes de derrière.  Mais presque 48 heures vont m’être nécessaires pour retrouver du tonus.

 

4/ J’avais quitté Michel 8 mois plus tôt avec une certaine émotion sur le ponton de La Rochelle. Mais pour moi, la conclusion s’imposait … c’est-à-dire avec aucune envie de repartir en conditions « hauturières ». Classé définitivement parmi les marins « ba(s)turiers », je me contenterai volontiers de ne faire désormais que du cabotage.

Mais comme beaucoup, je suis jour par jour sur POLARSTEP les aventures de Michel, Guéno, Tierrhy C. ainsi que Jérôme lors du voyage retour. Un beau voyage assurément, avec les eaux bleu turquoise, les maisons colorées, les belle rencontres …et bien sûr quelques emm…

Le retour est assez compliqué, les routeurs font tout leur possible pour trouver les meilleures passes et revenir vite vers la France. Mais il y aura du retard et les équipiers pressés de contraintes personnelles vont devoir « abandonner » le navire à Vigo sur la côte ouest espagnole.

Michel se retrouve seul. Et sans vraiment faire un appel à l’aide, il laisse entendre que si 2 ou 3 personnes venaient l’épauler, il serait possible de ramener bientôt ENAWEN II à Loctudy  

Il n’y a pas beaucoup de candidats disponibles….

Tu viens Daniel ? Aïe ! je sens que je vais encore dire OUI… et non seulement je le dis, mais en plus … je le fais !! Non mais quel c.. !!!

Et voilà comment on se retrouve enrôlé. Déplacement en avion pour moi et Marcel pour arriver dimanche soir (au moment de la commande de billets, on devait partir de Vigo dès le lundi matin). Thierry A.  n’arrivera que le mardi soir par Bla Bla Bus.

Mercredi 20 mai au matin, on largue les amarres et Michel dit au revoir à Vigo. Moi je dis adieu à la terre espagnole en espérant surtout retrouver vite fait bien fait le sol français.

Oui … mais non, parce que je perçois déjà la mer et ses premiers moutons dès que nous sortons de la ria… et ce n’est que le début.

Michel le capitaine et Marcel à la fois cuistot et veilleur de nuit vont prouver qu’ils savent se tenir dignes et solides. Thierry A et surtout moi vont faire moins bien. Pour ce qui me concerne, dès la première salade de patates j’ai su que j’allais retrouver l’inconfort des croisières précédentes. Dès cet instant j’ai su que je ne mangerai plus, que je ne boirai plus, que je ne dormirai plus normalement… et que j’allais finir une fois de plus à reposer en gisant. A l’exception de gros efforts pour participer à quelques quarts de nuit, je n’ai servi à rien d’autre que de constituer une partie du ballast.

Les éléments nous seront rarement favorables. La mer souvent agitée avec de la houle, les vents dans le nez et même avec l’appui moteur le voilier me semble slalomer entre des piquets invisibles.

Pour moi c’est plus une croisade qu’une croisière. Je me sens persécuté. Je viens pour rendre service. Et je dérouille ! Sur ENAWEN II, je me sens comme assiégé, prisonnier, dans notre citadelle flottante, petite forteresse courageuse qui résonne des coups de boutoir de la mer et du vent.

Voilà à quoi on pense au bout de 2 ou 3 jours lorsque 24 heures sur 24 on est secoué de l’extérieur par l’assaut des vagues, les secousses des rafales. On est aussi secoué de l’intérieur par un estomac qui ne se remplit plus, parce que même boire de l’eau donne la nausée. Et le cerveau commence à perdre les pédales.

« Je rentre dans un couloir qui s’entortille sur lui-même. Ce n’est pas un couloir c’est un énorme boyau une entrée et une sortie unique. Pas d’échappatoire. On ne peut qu’y rester… Tu as dit oui… tu l’as voulu et tu regrettes, de toutes façons tu es dedans et tu n’en sortiras que lorsque ce sera le moment. Tu ne décides rien. Tu n’es plus qu’une petite chose avec laquelle le temps va s’amuser. Dans un chari vari incessant ça pousse, ça tire, ça saute ça retombe… on ne voit rien. On ne fait que ressentir. Je suis comme une chemise dans un tambour de machine à laver. Avec des mains qui me saisissent en tous sens tirant à hue et à dia. Je vois sur l’écran de mes paupières fermées des images animées de statues de pierre sculptées de visages barbus, des murs en ruine, des chemins de montagne escarpés … et je suis projeté sur ces reliefs qui me repoussent dans un va et vient interminable. Je suis fatigué je ne sais plus si le bateau avance ou recule. Pas de pause ni de nuit ni de jour. Le sommeil n’apporte plus de repos. Le bruit du moteur semble permanent, pénible à supporter mais parfois aussi capable de produire des berceuses monotones. Il rassure. Mais ça ne dure pas »

Lundi 26 dans la nuit, nous nous rapprochons enfin des côtes françaises. Le moteur va bon train, tant mieux, vivement qu’on arrive. Tiens le régime du moteur ralentit… dommage on aurait pu arriver au petit matin ! Le capitaine a promis à nos adhérents une arrivée à 10h00 à Loctudy pour une arrivée triomphale… alors je vais encore serrer un peu les dents.

Le phare d’Eckmühl est en vue. Enfin. Puis Loctudy nous laisse entrevoir La Perdrix. Ça sent l’écurie. Je me détends. Je me déconfine. Je sors du carré. Je me porte au pied du mât pour sentir le frais… et à l’approche ce sont nos amis qui apparaissent comme des points de couleur… c’est un « Grand Pavois » humain qui nous accueillent avec les bravos.

Une dernière manœuvre en marche arrière permet au Capitaine de descendre les 3 marches pour les embrassades avec la foule.

Moi j’ai repéré Hélène et son pochon de viennoiseries… je vais manger un pain au chocolat que j’avale d’un coup… celui-là il restera dans mon estomac, j’en suis sûr. Le supplice est fini.

Enfin presque. Je rajoute cette ultime étape, car j’ai encore subi les derniers méfaits de ce foutu mal de mer.

Le soir même de mon retour sur terre, je me mets au lit. J’éteins la lampe de chevet, je ferme les yeux… et une nouvelle fois, sur l’écran de mes paupières fermées apparait un fond uniformément bleu et aveuglant ! Je rallume, j’éteins et à nouveau… le grand bleu. Surgissent alors de tous côtés des filaments noirs qui ondulent en dessinant de grands huit… rappelant les attractions de fête foraine ! Me revoilà parti dans les tourbillons ! Il me faudra plus d’une heure pour que le sommeil me gagne et efface ce succédané de cauchemar.

Une recherche sur Internet me conduit aux Phosphènes dont les principales caractéristiques sont ces apparitions lumineuses les yeux fermés. Elles peuvent être consécutives d’une stimulation mécanique, électrique ou magnétique de la rétine… les astronautes en sont parfois victimes.

Personnellement, je pense plus simplement à une revanche de mon cerveau. En mer mon corps a souffert. Mon cerveau a enregistré les chocs lors de la traversée.  Il s’est vengé, il m’a « offert » un replay alors que j’étais dans mon lit terrestre.  Bon, ça ne s’est produit qu’une fois. Et depuis je dors bien. Merci

PS : j’ai aussi perdu 5 kg en 5 jours de jeun forcé. Mais j’en ai déjà repris 2 !

 

CONCLUSION : Une croisière hauturière Daniel ?

NON ! merci .

PLUS JAMAIS !

Daniel D.

 

 

 

 

 

 


Un commentaire

  1. Bravo Daniel pour ton magnifique récit plein d’humour et pour ta persévérance !!! Bon y’a pas de doute … ça donne envie 😂 Profite bien des petites balades « basturières » Maité 🥰

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